Hommage au Docteur Robert G Bertrand
L’excellent film québécois La Donation du réputé cinéaste Bernard Émond met en scène un médecin âgé d’une petite communauté intéressé à prendre quelques jours de congé pour prendre soin de sa propre vie. Il recrute pour le remplacer une jeune femme, urgentologue dans un grand centre urbain. Personne n’étant à l’abri de la maladie, le destin frappe le tout dévoué à son retour et l’emporte. S’étant préparé à toute éventualité, et caressant peut-être un projet de retraite, toujours est-il qu’il fait don à sa remplaçante de sa clinique et de la maison qui l’abrite, à la condition qu’elle poursuive ses activités en région.
J’ai visionné ce film avec beaucoup d’intérêt en pensant bien sûr au docteur Robert Bertrand et à la communauté régionale du Val Saint-François qui peut à vrai dire se considérer comme socialement et historiquement chanceuse. De un, elle n’a pas eu à concevoir et à réaliser une Grande Séduction pour obtenir les services d’un omnipraticien. De deux, elle a eu affaire à un médecin entrepreneur qui a su s’associer d’autres collègues pour agrandir l’offre de services. Je me souviens avec plaisir de ces minutes d’attentes en clinique où régnaient une grande affluence et un véritable climat de joie contagieuse rendant même agréable l’expérience de la patience. De trois, elle a goûté à une stabilité enviable.
Le docteur Bertrand a réalisé l’entièreté de sa carrière au cœur de la même population, soignant avec compétence plus de trois à quatre générations de patientes et de patients. Un jour, je lui faisais le commentaire suivant : « Robert, tu me fais penser à ces bons vieux médecins de campagne d’autrefois ». Il m’avait spontanément répondu : « Tu me rends hommage! ».
À la vérité, je reconnaissais en lui le dévouement et la générosité, plus généralement, la grandeur d’âme qui caractérise ces personnes dédiées au bien-être d’autrui. Notre monde accueille de ces êtres d’exception, hommes et femmes, pour qui le sens du mot donation n’a pas de secret. Toutefois, pour qu’une société subsiste, il faut que toutes et tous dispensent au cours de leur vie une bonne mesure de donation car en réalité, nous sommes si reliés les uns aux autres, si interdépendants. De quatre, elle fut servie par un homme à la vitalité et à la joie de vivre exubérante. Atouts remarquables s’il en est pour rassurer au moment opportun. Qualités fondées sur un appétit de la vie qui est passé à ma connaissance par les arts martiaux, la nage et les expéditions en montagne. Humblement connues, mais jamais publicisées, ces expériences de vie ont su porter leurs fruits sur une clientèle aimante. De cinq, elle fut accompagnée par un être humain au sens du devoir accompli : soigner la vie pour que la vie perdure. Jamais sévère, toujours courtois, une « attitude Kampaï » avant la lettre. À votre santé! Oui! Parce que le discours scientifique chez Robert précédait l’inventaire des gestes responsables à poser pour sa propre santé. De six, elle a pu compter sur un personnel de secrétariat à l’écoute et organisé, la dernière personne en liste étant Madame Lise Lepage avec vingt-trois années de précieux services. J’ai souvent pu constater sa discrétion et sa diplomatie, surtout au cours des dernières années avec les difficultés vécues au sein du système de santé.
À un certain moment de la vie, l’heure de la retraite sonne, la petite aiguille à 64 et l’autre à trois ou quatre, c’est selon. Pour plusieurs, elle sonne à l’heure juste, à la « bonheur », et c’est un privilège que de l’entendre sonner. Elle signale la fin d’une étape sous une certaine forme, et surtout pas la fin de toutes les étapes. Elle ne met pas entre parenthèses une passion qui a animé toute une vie. C’est un changement d’heure dans l’après-midi de la vie où la passion de base continue à vivre… différemment, voire soutenir d’autres passions émergentes, d’autres projets de vie, d’autres missions.
Retraité de la CSN à 63 ans, Michel Chartrand a fondé la FATA (Fondation pour l'aide aux travailleuses et travailleurs accidentés du Québec) et hypothéqué sa résidence personnelle de 30 000 $ pour ce faire. À quelqu’un qui lui disait qu’il était admirable il a répondu : « Non! C’est ce que tu fais qui est admirable. » Il a découvert, sans jamais y déroger, son principe de vie à la trappe d’Oka à l’âge de 17 ans à travers la pensée chrétienne : « Aimer son prochain comme soi-même ».
Richard Desjardins disait dans son film L’Erreur boréale que les vieux arbres se reproduisaient toujours avant de mourir. Il nous appartient à nous qui avons une certaine expérience de la vie de poursuivre notre destinée et de définir comment nous allons nous reproduire, quels fruits nous allons initier pour semer la vie dans l’instant, au quotidien… et à l’intention de nos semblables.
Nous n’avons pas tous et toutes le même coffre d’outils, ce qui veut dire que bricoler s’avère tout aussi respectable et responsable que de construire une cathédrale. L’œuvre est là, porteuse de sens, dans l’accomplissement de la vie.
Belle vie Robert et mille mercis. Sur l’air de Adieu Monsieur Le Professeur de Hugues Aufray : « Adieu monsieur le docteur
On ne vous oubliera jamais. »
André Leblanc, Saint-François-Xavier-de-Brompton
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