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31 décembre 2021 - 04:00

Intolérance au lactose : la norme à l’échelle planétaire ? Vrai

Tous ne sont pas égaux devant un verre de lait. Si certains peuvent l’avaler sans trop de conséquences, d’autres vont ressentir des inconforts intestinaux. S’agit-il d’une anomalie? Le Détecteur de rumeurs s’est penché sur la question.   

En 2019, dans le Guide alimentaire canadien, la recommandation de boire quotidiennement du lait a été supprimée. Ce qui a soulevé bien des critiques de la part de l’industrie laitière, mais les intolérants au lactose, eux, ont poussé un soupir de soulagement. Car leurs malaises sont loin d’être mineurs : crampes, ballonnements, diarrhée, dans les heures qui suivent l’ingestion.

Les gens qui se disent victimes d’intolérance au lactose représenteraient 16 % de la population canadienne, selon un sondage réalisé en 2013. En gardant en tête qu’il s’agissait d’un sondage où l’on demandait aux gens de dire s’ils en souffraient, on peut donc parler d’une petite minorité.

Toutefois, à l’échelle mondiale, le scénario est différent. Une méta-analyse — c’est-à-dire une synthèse d’études — parue dans The Lancet en 2017 estimait que l’intolérance au lactose toucherait environ 68 % de la population de la planète. Avec de très grands écarts géographiques : seulement un Suédois sur dix a de la difficulté à absorber le lactose. Mais en Chine, au Japon et au Vietnam, cela concerne près de 100 % de la population. Autrement dit, dans ces pays d’Asie, à peu près personne ne peut avaler un verre de lait sans ressentir des inconforts intestinaux! 

Des bébés bien adaptés

Pourtant, les mammifères incluant les êtres humains ont, à la naissance, la capacité de métaboliser le lait maternel. Grâce à une enzyme appelée lactase, présente chez tous les mammifères, le lactose est décomposé en glucose et en galactose, deux sucres plus facilement assimilables par l’organisme. C’est au moment du sevrage que cette enzyme se met en mode «arrêt». Dès lors, le lait ne peut plus être décomposé et donc, digéré adéquatement. Le lactose parvient dans le gros intestin, où il fermente par l’action des bactéries, ce qui entraîne les inconforts.

Jonathan Silvertown, professeur d’écologie évolutive à l’Université d’Édimbourg, en Écosse, le rappelait dans le livre Un dîner avec Darwin, paru en 2017 : «Les mammifères adultes sont normalement incapables de digérer le lactose, même s’ils se sont nourris de lait maternel. L’incapacité à digérer le lactose est également l’état normal des adultes humains.»

Mais un changement s’est produit chez les humains. Il y a approximativement 10000 ans, est apparue, chez les populations de certaines parties du globe, une mutation génétique qui leur permet de maintenir la production de l’enzyme de la lactase tout au long de leur vie. Leur système digestif a donc la capacité de digérer la partie glucidique du lait d’origine animale. Au Canada, on peut affirmer que la population est majoritairement porteuse de ce gène puisque l’intolérance au lactose ne touche qu’une faible proportion de gens.

Ce n’est probablement pas une coïncidence, disent généticiens et anthropologues, si l’apparition de cette mutation correspond aux débuts de l’élevage et de l’agriculture dans les sociétés de l’époque.

Ailleurs dans le monde, d’autres gènes similaires ont fait leur apparition de façon indépendante. Les habitants de l’Afrique de l’Est peuvent compter sur trois gènes différents pour digérer le lait. Ces trois allèles se sont développés respectivement en Tanzanie, au Kenya et au Soudan. La population de l’Arabie saoudite possède également sa propre mutation génétique qui permet de consommer du lait de chamelle sans inconfort. 

Le secret est dans la fermentation

Mais puisque l’agriculture s’est répandue partout dans le monde, pourquoi des différences aussi marquantes dans la tolérance au lactose?

Il y a tout d’abord un aspect culturel : certes, la production laitière est très répandue, mais tous n’ont pas la même façon de consommer du lait.

Par exemple, au Moyen-Orient, on consomme rarement le lait au verre. Aussitôt trait, il est fermenté et transformé en fromage ou en yogourt. Cette étape introduit des bactéries lactiques dans le lait. Ces bactéries vont utiliser le lactose comme source d’énergie en le décomposant. On peut donc dire qu’elles digèrent le lactose à notre place. Résultat : les personnes intolérantes au lactose peuvent sans problème consommer les produits laitiers fermentés, comme le fromage à pâte ferme et le yogourt.

On a longtemps présumé que c’était parce qu’on buvait du lait qu’on avait développé une «résistance» au lactose : il semble plutôt que ce soit lié à la façon dont on le consomme. Dans les pays où l’on transforme le lait par fermentation, celui-ci devient apte à la consommation sans provoquer d’effets néfastes : il n’y a donc pas, dans ces populations, d’avantage évolutif à transmettre le gène de tolérance au lactose.

En fait, le Moyen-Orient est considéré comme le berceau de la production laitière, mais le gène de persistance de la lactase y est plutôt rare. Il y est même presque aussi peu répandu qu’en Extrême-Orient (Japon, Chine, Corée).

En Europe en revanche, lorsque les premiers agriculteurs sont arrivés il y a près de 10000 ans, ils buvaient le lait frais, donc sans fermentation. Plusieurs explications ont été avancées pour déterminer pourquoi la tolérance au lactose s’est répandue en Europe aussi rapidement. L’une d’elles est la théorie d’assimilation du calcium. Les agriculteurs, en migrant de plus en plus vers le nord, ont fait face à une luminosité qui faiblissait rapidement en hiver. Cela a entraîné des carences en vitamine D, une vitamine essentielle pour faciliter l’absorption du calcium. C’est dans le lait que ces colonisateurs auraient trouvé la solution. En fournissant des nutriments comme le calcium et la vitamine D, le lait aurait réduit le taux de rachitisme.

Pourtant, ces populations n’avaient pas un taux plus élevé de rachitisme qu’ailleurs. La théorie ne suffit donc pas pour expliquer pourquoi la tolérance au lactose a gagné l’Europe.

Une autre explication est liée aux grandes périodes de famine qu’a connues l’Europe du Nord à différentes époques depuis les débuts de la pratique agricole dans cette région, soit depuis 7500 ans. Le lait se serait révélé un aliment disponible rapidement et en grande quantité, apportant des nutriments essentiels.

Quelle qu’en soit la raison, la dispersion d’une telle mutation est particulièrement rapide selon les spécialistes en biologie de l’évolution. En moins de 7500 ans, des millions de personnes, particulièrement en Europe, se sont transmis ce gène de persistance de la lactase. On ne connaît pas d’autres exemples, dans l’histoire des Homo sapiens ou de leurs proches cousins, d’une «évolution» qui soit à la fois aussi significative et aussi rapide.

 

Texte de Laurie Noreau – Le Détecteur de rumeurs

Agence Science-Presse (www.sciencepresse.qc.ca)

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