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30 décembre 2020 - 04:00

Après plus de 60 ans, j’avoue finalement mon crime !

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Comme chaque année, le signal que nous venions d’entrer dans le temps des fêtes était de se rendre au moulin à papier où mon papa travaillait pour chercher notre sac cadeau de Noël (en papier s.v.p. ! On était écolo dans ce temps-là). La distribution se faisait selon l’âge et le sexe de l’enfant. On suivait des cordes rouges, qui nous amenaient tout droit au père Noël. Nous étions tous excités de LE voir et l’on repartait rapidement avec quelques bonbons et habituellement une poupée de plastique qui puait. Mais le summum du summum était que durant cette même période, l’atelier de notre mère Noël se remplissait de cadeaux. À chaque fois que je le pouvais, je m’y faufilais et constatais son évolution. Faut dire que son atelier était plutôt exigu puisque c’était la garde-robe de nos parents. Un matin, que mes parents fussent partis à un rendez-vous, j’en profitai pour y jeter à nouveau un coup d’œil. Rapidement, j’aperçus deux nouveaux cadeaux de même grosseur et même pesanteur, un à mon nom et l’autre au nom de mon frère Daniel. Impossible, me suis-je dit, Daniel ne peut avoir le même cadeau que moi, c’est un gars !!!! Je tentai de voir des indices à travers le papier, mais sans résultat. Je pris donc la décision d’ouvrir le cadeau de Daniel en premier : mon frère avait LA trousse de docteur dont je rêvais avec des pilules bonbon rouges. J’en conclus qu’il y aurait deux futurs médecins dans la famille me suis-je dit. Avec empressement, mais toujours en faisant attention de ne pas déchirer le papier d’emballage, je déballai rapidement mon cadeau : Oh malheur ! Je sentis soudainement le poids de mes 6 années s’abattre sur mes épaules. 

Maman m’avait offert la très ordinaire trousse d’infirmière, celle qui avait un léger problème : elle ne contenait aucune, mais aucune boîte de bonbons aux pilules rouges. Affalé, sur le bord du lit de mes parents, je contemplais les deux trousses et mon cerveau en ébullition me confirmait mes pires craintes : je devrai obéir aux ordres de Daniel puisqu’il sera « le docteur de la famille ». Il aura en plus le privilège de distribuer les pilules rouges selon son bon vouloir. Que faire ??? Réemballer la trousse docteur avec mon papier et mon nom, mettre la boîte de pilules dans la trousse de l’infirmière et vous que feriez-vous à ma place ? 

Et bien, pour votre information, c’est le curé qui m’a aidé à prendre la bonne décision : En effet, Nicole, ma sœur pourrait vous le confirmer puisque à chaque année et ce à quelques jours avant Noël, nous devions tous aller nous confesser afin de vivre un Noël blanc comme neige, je parle de nos péchés évidemment. Je me voyais mal, à genoux dans le confessionnal, me confesser de m’être chicané 14 fois avec mon frère, 14 fois, car ça faisait plus crédible qu’une seule fois, en plus d’avoir fait fâcher maman, 31 fois (j’en mettais plus que le client en demande) et conclure en avouant mon crime d’avoir piqué la boîte de bonbons pilules rouges à mon frère. Imaginez la quantité de « Je vous Salue Marie » j’aurais eu à réciter ! 

Je pris donc la décision de remettre les pilules dans la bonne trousse, de remballer le tout et de tenter d’oublier jusqu’à Noël. Aujourd’hui, j’aurais noyé ma peine avec un bon petit verre de vin. Dans ce temps-là, j’ai plutôt opté pour un bon verre de lait, pas celui avec du lait en poudre comme habituellement nous buvions, car le lait était trop dispendieux pour la nombreuse famille que nous étions, mais du bon lait d’une vraie vache avec un biscuit encore chaud sorti du four de maman. Péniblement, je récupérai le papier et entrepris de remballer nos cadeaux. Décidément, rien n’allait en ce jour maudit, même le « scotch tape » jouait au trouble-fête. Impossible de réutiliser l’ancien, il ne collait plus, il m’en fallait d’autre. Je courus à la recherche de ce précieux « scotch tape ». J’ai cherché partout, RIEN, RIEN, RIEN !!! Alors de la ficelle ??? Non, maman le remarquerait. C’est à ce moment précis que je pris la décision de me rendre chez ma tante Jeannette qui vivait en face de chez nous, dans la maison paternelle de nos grands-parents. C’était « une vieille fille » du type de celle qui a pris soin de ses parents jusqu’à leur mort. Tante Jeannette était couturière, elle bricolait beaucoup et chaque année cueillait dans la forêt des racines toutes plus bizarres les unes que les autres et des herbes pour se concocter des médicaments. Tante Jeannette n’avait pas d’enfant, mais habillait chacun des enfants de ses frères Fernand, Léonard et Lucien. Toute l’année, elle récupérait les tissus en trop de ses clients et nous cousait pantalons, robes, bas, foulard, tuques, même des habits pour les plus vieux. Pour nous les remettre, nous allions à la pêche aux cadeaux le Jour de l’An. On plaçait un drap dans l’embrasure d’une porte avec une ouverture d’environ 2 pieds dans le haut. Lorsque notre nom sortait d’un chapeau, on récupérait une perche que l’on dirigeait de l’autre côté du drap et tante Jeannette y accrochait le résultat de son dur labeur. Malheureusement, je n’ai pas eu la chance de la remercier pour tout l’amour qu’elle nous prodiguait de cette façon. Elle est décédée depuis longtemps, mais le souvenir d’une bonne personne aimante reste dans ma vie bien présent.

Tante Jeannette vous avez du Scotch tape lui demandais-je ? Du « scotch tape » oui, tu es chanceuse, j’en ai du beau de couleur rouge et vert pour mes cadeaux m’a-t-elle répondu. Rouge et vert ? Je veux du Scotch tape ordinaire !!! Celui-ci est beaucoup plus beau m’a dit tante Jeannette. Je retournai rapidement dans la chambre de mes parents, et du haut de mes 6 ans, remballa les cadeaux le mieux possible avec le scotch tape rouge et vert. J’ai replacé le tout dans le garde-robe et fermé la porte avec toujours le poids de la misère humaine sur mes épaules.Noël arriva et je déballai mon cadeau. Je fis ma « fille » la plus surprise du monde et remercié mes parents pour le joli cadeau. Je n’ai eu aucun commentaire de mes parents, ni vu ni connu, comme si personne n’avait vu de changement. Faut dire que l’ouvrage ne manquait pas à la maison. Maman était probablement trop occupée pour remarquer quoi que ce soit. Aujourd’hui, je suis bien contente d’avoir pris la décision de laisser les petites pilules rouges à mon frère Daniel. J’en garde un très bon souvenir même si je n’ai pas eu de maladie si contagieuse nécessitant qu’il me donne une de ses belles et sûrement bonnes pilules rouges. 

JOYEUX TEMPS DES FÊTES, prenez soin de vous et restez en santé pour ne pas avoir à prendre de petites pilules rouges !

J’ai écrit ce texte en souvenir de mon frère Daniel, « mon petit frère courageux » décédé cette année de la SLA. Je m’ennuie de lui.

Lisette Boulanger Moreau

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2 réactions
  • Les souvenirs c'est précieux, on peut les sortir quand on veut et ça nous ramène directement à un endroit où en compagnie de personnes chères. Beau texte Lisette

    Sylvie Ouellet Martin - 2020-12-31 08:12
  • Vivre un deuil, c’est donner aux joies de la vie le temps qu’il faut pour se transformer en bons souvenirs - Jacques Blaquière, généalogiste. Votre «crime» Lisette en est un parfait exemple.


    Jacques Blaquière - 2021-01-05 11:57